Nous assistons ces dernières années à une annulation de plus en plus récurrente des arrêtés préfectoraux des chefs de villages Atchan. Les populations s’en plaignent. Quelles en sont les raisons et les conséquences?
LEGITIMITE ET LEGALITE DU CHEF EPROUVEE
Pour devenir Chef de village en pays Ebrié comme partout en Côte d’Ivoire, il faut avoir été désigné selon un processus propre à chaque village établi depuis des lustres. La loi du 14 juillet 2014, portant statuts des Rois et Chefs traditionnels, en son article 3 alinéa 1, stipule très clairement que les Chefs de villages sont désignés selon les Us et Coutumes dont ils relèvent. Cette désignation confère de facto une légitimité au Chef élu.
L’administration, quant à elle, ne désigne pas le chef du village directement, mais elle encadre et légitime le processus de désignation. Son rôle est de valider la conformité de l’élection ou de la succession. Elle confère une légalité au nouveau Chef. Pour obtenir cette légalité, le nouveau Chef est soumis, par l’administration, à une épreuve de vérité dénommée Consultation Populaire. Cette épreuve, à l’origine, ne concernait que le Chef désigné par sa génération selon les Us et Coutumes du village.
Malheureusement, de nos jours, nous assistons à un bicéphalisme à la tête des villages, alimenté par l’administration, au point que la Consultation Populaire a perdu de sa substance pour devenir une épreuve entre plusieurs tendances. Ce fut le cas à Adjamé Bingerville où le Chef choisi par sa génération avait été privé de son arrêté qui est remis à une personne dont le nom n’avait jamais fait l’objet de candidature au sein de sa catégorie, encore moins au sein de sa génération. Par quelle alchimie a-t-il obtenu son arrêté? On ne le saura jamais, jusqu’à ce que le Conseil d’Etat annule ledit arrêté.
Ce fut également le cas à Abatta village où le Préfet d’alors avait reconnu publiquement avoir été induit en erreur pour délivrer un arrêté au chef actuel au détriment du chef choisi par les populations selon les Us et Coutumes. Comment se fait-il que dans la plus part des cas, les chefs contestés à qui des arrêtés sont remis sont-ils maintenus alors qu’ils sont interdits de séjour dans les villages qu’ils sont sensés dirigés durant des années, sans même que cela n’interpelle les autorités?
LES AGITATEURS ET LE ROLE ‘’TROUBLANT’’ DU CONSEIL D’ETAT
Aujourd’hui, il se trouve des personnes dans tous les villages systématiquement opposées aux choix qui ne sont pas leur choix. Elles déploient leurs énergies pour créer l’instabilité, mettent les moyens financiers en jeu pour atteindre leurs objectifs.
AKRE MARC NANDJUI, CHEF DU VILLAGE D’ABOBO-BAOULE
Ce qui se passe à AboboTé, Anonkoua Kouté et plus particulièrement à Abobo-Baoulé est évocateur.
Des chefs sont désignés selon les Us et Coutumes, soumis à l’épreuve de la Consultation Populaire et obtiennent leurs arrêtés. Après toutes ces étapes bien menées et surmontées, il se trouve des personnes qui les traduisent devant le Conseil d’Etat et parviennent a obtenir l’annulation desdits arrêtés, pas pour détournement ou pour avoir été reconnus coupables de meurtre, ou encore pour faute lourde, mais tout simplement pour le non respect de la tradition.
Comment le Conseil d’Etat peut-il annuler un arrêté issu du travail d’un Préfet pour non respect de la tradition, alors que la tradition elle-même est sujette à interprétation?
A Abobo-Baoulé, M. AKRE Marc Nandjui a été choisi Chef du village selon les Us et Coutumes. Son choix a été sanctionné par un arrêté délivré par le Préfet Goun après une Consultation Populaire qui a confirmé la décision villageoise. Mais voilà que des personnes se décident d’engager un recours au Conseil d’Etat à l’effet de l’annulation de l’arrêté du Préfet. Et pourtant, le village est paisible. Les populations vaquent à leurs occupations et les activités coutumières se déroulent dans la tranquillité.
Il est vrai que le Conseil d’Etat est le dernier recours et ses décisions sont incontestables. Cependant, celles-ci peuvent perturber la quiétude et la stabilité d’un village. Dans certains cas où le Chef du village désigné par l’administration et ses partisans sont interdits de séjour dans leur propre village, comme à Adjamé-Bingerville ou Abatta, l’annulation de l’arrêté conflictuel peut être salutaire et sans bagarre. Mais, dans le cas où le Chef est établi au village et bénéficie d’un soutien populaire, l’annulation est obligatoirement source de troubles.
C’est pourquoi, toute décision, qu’elle soit de justice, administrative ou politique doit toujours tenir compte de son impact sur le climat social.
Léon SAKI